Un vol, ça commence souvent le jour d’avant.
Avec l’analyse des prévisions météo,le choix du lieu de décollage et de l’heure, la logistique pour se rendre au décollage, et aussi les coups de fil des potes qui étudient le parcours à essayer de réaliser.
Ce jeudi, j’avais repéré une situation météo moyenne mais sûrement exploitable pour voler depuis chez nous vers le nord. (j’ai vraiment envie de retourner en Suisse pour tester la nuit sûrement sympathique qui fera suite aux deux premières expériences).
J’avais vu un peu trop de vent de sud, et quelques orages isolés, mais on le sait tous, la prévision, ça reste de la prévision, et c’est pas sûr à 100 %
Donc, par principe, j’avais décidé d’être positif et de tenter de partir en cross, en sachant qu’un cunimb, ça peut se contourner vu que c’est visible à 100 km ou plus, et que le vent de sud fort était surtout annoncé sur le début du parcours. L’important, c’est de jouer, (c’est pareil que le loto, chacun choisit de jouer ou pas…).
Les risques ne sont quand même pas très élevés. Au pire du pire, se poser et essuyer un orage pendant le retour à pied. ou vraiment la situation pourrie totale, serait de se faire prendre par du sud trop fort et poser en vrac sous le vent d’une arrête après avoir été reculé.
donc, j’ai un poncho pour me protéger de l’orage et je garde toujours une vallée sur un côté pour poser si je commence à scotcher face au vent.
Bref, pourquoi ne pas tenter de partir en cross ? Bref, j’étais motivé !
Le matin du vol Téo devine et anticipe mes intentions : il me propose de m’emmener à Lesches pour m’éviter toute galère de voiture ! MERCI !
Moustache complète en nous montant Téo et moi + Simon + Michel + la chauffeuse Marie-Thérèse… (il fait trop chaud en ce moment et je suis à mon poids d’été (trop léger) j’ai un gros sac à 19 kilos, trop dur de monter à pied) MERCI !!!
Bref, c’est bien parti !
Manu et Franck sont totalement démotivés, le matin au téléphone et au bar, ils m’annoncent que la journée va partir à l’orage que c’est trop ci ou pas assez ça… bref, ils ne sont pas motivés… Quelqu’un demande où je compte aller, j’annonce « au moins Chambéry ». Manu n’y croit pas.
Tout le monde sait que je veux aller en Suisse ! Il est 10 h. Il y a beaucoup de monde au décollage de Lesches, dont les biplaceurs qui décollent et nous montrent que ça tient déjà.
Ça monte bien et facile à lesches, mais pas très haut. Je ne fais même pas 2200 et je pars.
Première transition, je cherche mes compagnons de vol. personne vers l’itinéraire cross faces Est du Vercors. Allumage de la radio, message, Manu répond que j’ai raté la discussion et les décisions et qu’ils vont sur les faces Ouest.
Ok.
Finalement je vois une voile devant moi ! Simon ! cool !! Le compagnon parfait ! il vole bien, super autonome, (tellement qu’il vole sans radio). Ça me va super bien !
Il galère au-dessus de Bonneval. J’arrive et j’essaie de foncer cash sur Toussière, la journée est instable, il y a des thermiques partout, ça devrait le faire. Et hop, ça marche ! J’enroule avant Toussière, puis sur Toussière.
C’est assez difficile de se placer, le vent de sud-est bien présent, mais les vautours par dizaines nous aident. On part vent de cul sur le Jocou, on ne trouve rien, on continue, assez bas, le vent de sud couche tout. On se fait bien secouer mais on arrive à monter. Être 2, c’est mieux pour trouver les pompes. C’est magnifique, j’aimerais bien faire une photo avec Simon et le mont Aiguille mais difficile de me placer.
On arrive sur le Serpaton bien bas. Je ne sais absolument pas de quel côté me placer. Pourtant je suis bas…
J’essaie de monter, ça secoue sévère, le syride enregistre 2.2 G (jamais il n’avait fait ça).
Je me prends une grosse fermeture, cravate, rotation un quart de tour, la voile plonge, dur à contrer, ça réouvre après que j’aie remis en vol droit, je n’ai pas choisi, mais maintenant je suis du côté Est. Finalement c’est là qu’il faut être… ouf… merci le coup de bol…
Je ré-enroule, re-fermeture, re-cravate, re-début de rotation… fatiguant le quartier….
En fait, une toute petite cravate en bout d’aile fait bien plus chier qu’une belle fermeture qui réduit ton allongement et te met bien moins en rotation…
J’arrive à monter, je pars direction un petit cum.
Je me jette au pied des 2 sœurs. C’est tout bizarre, il y a plein de nuages, avec des étages différents, je suis persuadé d’être sous le vent mais je ne sens pas cet effet sur l’aérologie.
Un détour vers l’ouest où il y a plein de nuages bien noirs me permet de monter.
Ce détour marque presque à chaque fois mon point le plus au Nord Ouest dans le calcul de la distance max du jour (3 segments, c’est le règlement). Donc, finalement, il faudrait le faire à chaque fois.
Ça y est, je suis « sauvé ». Merci les 2 sœurs. J’ai atteint l’altitude nécessaire pour prendre l’autoroute !!!
Même que je suis embêté par les nuages, faut pas que je me fasse aspirer dedans, il y a des planeurs qui passent autour de moi. Ça se gère…Puis, c’est l’autoroute, assez facile, rapide… cool… curieux, y a personne. Ils sont tous partis sur les plages ou quoi ??? Pas une seule voile. Pourtant les conditions sont ok…
Je vole contre les nuages. C’est magnifique
Il y a 2 étages. Les cumulus du plateau qui sont bien épais, base bien plate. Et les cum des faces est, moins réguliers, effilochés et penchés par le vent d’ouest. Les cum du plateau sont décalé aussi par le vent d’ouest.
C’est beau…
On voit bien que les deux masses d’air ne se mélangent pas (celle du plateau et celle des faces est). J’essaie de faire le plus gros plein possible pour passer sur la chartreuse. Je pars à 2400 m.
Normalement en partant à cette altitude, je mange la ZIT de Grenoble. Ce coup-ci, je prévois de contourner par la gauche cette zone et d’aller me refaire sur le Néron. Le début de la transition est parfait. La finesse est bonne, pas de taux de chute pourri, et une bonne vitesse, super ! Ça va passer au-dessus de la ZIT.
J’infléchis ma trajectoire vers la droite traçant dans le ciel une belle parabole invisible…. Je fais des photos, je mange pas, j’ai pas envie… Super transition, je raccroche au niveau du St Eynard, personne… J’ai vu deux voiles au loin, personne n’est haut sur l’autoroute, ils sont tous dans les gencives des falaises, pas un seul au-dessus. Mais dans le massif, il y en a qui sont hauts. Je m’applique à monter.
Ça marche, je prends des bons varios. Il y a des nuages à bases bien noires sur le massif de la Chartreuse. Je vais jusqu’à la dent de Crolles pour essayer de profiter du dynamique du sud. Une Wild arrive des gencives, il a réussi à passer au-dessus, il fonce sous les cums et ça passe large ! Personne côté autoroute, plein de monde côté massif, je n’ai jamais encore pris le massif, ça suffit, il ne me faut rien de plus ma décision est prise : aujourd’hui je passerais dans le massif (1ère !).
Ça marche bien. Une autoroute N°2 en quelque sorte… Je suis avec la Wild et une Niviuk. On avance bien (enfin j’essaie de ne pas me faire distancer). Arrivé au Granier, je merde. J’enroule du pas fort, mes acolytes montent plus vite que moi et se barre devant. Je reste calme et assure un plein maximum (à raz le nuage !). J’engage la transition à 2200 m c’est pas haut… il est où mon regretté printemps où les plafonds et les varios étaient généreux ? L’été est réputé stable dans les Alpes du nord…
Dans la transition, je ne mange pas (vous avez remarqué, je n’ai encore rien mangé). J’essaie de faire une belle ligne droite. Je m’applique. Tout en regardant le paysage, belle ligne droite pas trop mal réussie. Mes acolytes sont arrivés avant moi, et sont en galère. Normal à cet endroit… la Savoyarde. Je me prépare à enrouler le premier truc que je sens. Tac, le premier thermique me monte 600 m au-dessus de la crête, je suis déjà parti de bien plus bas d’ici, ça va le faire !
Je passe donc devant les deux autres, thermique suivant ok, pointe de la gallopaz, la wild me rejoint, et monte super fort, je lâche mon thermique pour aller dans le sien mais merde grave et ne trouve que du vario faible… Bref, je merde… La wild part sous des nuages dans un super créneau, la niviuk lui emboite le pas, (on devrait dire lui emboite la traînée ???).
Je suis à la traîne… Bref, je m’en sors quand même et repars à leur poursuite.
Et là, c’est l’instant Walt Disney…
Le monde merveilleux des animaux de la forêt, un jeune aigle magnifique arrive en piaillant sans arrêt, je l’entends bien avant de le voir, il appelle sa mère comme un enfant qui vient d’avoir une grosse grosse peur.
Il me passe dessous majestueux, un plumage brun très foncé, avec deux cocardes blanches, tel un avion de chasse de la 1ère guerre, l’engin taillé pour devenir le maître des airs, le futur roi des animaux, fils du roi, déjà grand, lui, si fort, au moins 1,50 m d’envergure vient visiblement de se faire très peur. il arrête pas de piailler et fonce vers son parent que je vois enrouler un peu plus loin.
Irréel…
S’il savait…
S’il savait comme moi je ne suis pas à ma place ici, contrairement à lui…
S’il savait comme j’ai eu peur tout à l’heure quand ma voile a cravaté et qu’elle fonçait vers le sol… comme les turbulences et le vent me malmènent… comme je dois prévoir à l’avance si je veux me poser quelque part…
Quand j’étais gosse, je lisais Yakari, et je rêvais de pouvoir un jour approcher un aigle… Et bien à cet instant, ce jour-là Le roi des animaux, était encore plus beau que d’habitude…
Et nous avons bien de la chance d’arriver un peu à les imiter.
Il y a peu de parapentes dans le ciel, je me méfie, c’est signe que la journée n’est pas facile facile… Au loin, sur le massif des Aravis, il n’y a pas de cumulus côté ouest, seulement des cum sur la partie haute de la chaîne des Aravis. Mauvais signe pour continuer après Annecy. Je décide de changer de route et de passer par la chaîne à l’est, ça faisait longtemps que je voulais tester cette route, je bifurque vers l’Arcalod.
Je réussis à me refaire de tout en bas, sous le regard de quelques chamois qui se contrefoutent de moi (feraient bien de parler un peu avec les chamois du glandasse, leur expliquer que ce n’est pas la peine de s’enfuir, les parapentes ne tirent pas au fusil). Je tire jusqu’au bout de la crête et me jette vers le décollage de Marlens qui vu les nuages noirs qui sont dessus devrait bien donner. Pendant la transition, j’admire le lac et la tournette, c’est un peu joli le coin.
Sur la fin, je me fais bien appuyé… C’est même là, juste avant d’arriver sur le petit relief que je me fais appuyer le plus de tout le vol -5,4 m/s… Heureusement que je suis à 65 km/h… Je rage à chaque fois que ça m’arrive, tu files vent de cul vers un endroit ou ça ne peut que monter et pourtant même à 50 m du relief, ça dégueule encore à -3,5…. Parfois je gueule dans cette situation, ce sont des situations qui me font enrager.
Je vais passer les pires 20 minutes du vol.
Avec le + gros vario négatif, le plus gros vario positif, la plus grande vitesse et aussi la plus faible. Je me retrouve scotché par la brise, et ça monte beaucoup moins que prévu… Je fais un petit tour du quartier pour rechercher un bon vario (positif). Complètement scotché dans une brise bien forte, qui me secoue doucement mais ce n’est pas ça le problème…
Je ne suis pas bien… quelque chose ne va pas, je chope la gerbe… Je me raisonne, et essaie de ne pas y penser. Je ne vais pas bien, j’ai la gerbe, j’essaie de sortir d’ici.
Finalement, au bout de la crête, je chope quelquechose… ouf… enfin…
Je suis toujours mal… Putain, je comprends enfin… J’ai chaud, depuis le début du vol j’ai trop chaud !!! C’est pour ça que je n’ai rien mangé… Comment n’ai-je pas senti ça plus tôt ??? J’ouvre mes deux coupe-vent tout en enroulant… Puis le blouson, puis le sweat, j’ai encore des couches dessous… Je suis habillé pour monter à 4000, et je vole en dessous de 2000… Pouafff même tout ouvert, je vais encore mal…
Heureusement, la fin de la montée se fait en ligne droite sous des machins noirs que je suis content de ne pas trop approcher, plutôt de les fuir (je vois que la suite du parcours est clean). Ok, je reprends un peu mes esprits mais je garde un peu la gerbe… La suite du parcours est disons toute tracée, c’est la chaîne des aravis.
Ça se passe plutôt bien sauf que je ne monte pas très vite. Je ne suis pas au top, par-dessus ça, un vent de nord me contre par moment. J’ai du mal à y croire.
Mais, la plus grande manche à air du monde (sans doute) m’indique que le vent est bien Nord dans la vallée du lac Léman alors qu’il devrait être en brise (sud). Je remercie les Genevois de mettre en route chaque matin volable cette plus grande manche à air du monde. Elle est à environ 42 km de moi (j’ai mesuré après sur la carte) et je la vois super bien. Cette manche à air fait 140 m de haut environ… et c’est… c’est…
C’est…. le jet d’eau de Genève.
Vous pouvez lire sur Wikipédia que la masse d’eau suspendue dans l’air est d’environ sept tonnes et une goutte d’eau met 16 secondes depuis la sortie de la buse pour retomber dans le lac. Et la goutte d’eau est emportée par le vent !!! Donc panache à droite : brise ou vent de sud, panache à gauche : vent de nord ! Et j’en ai parlé le lendemain avec un moniteur qui faisait des biplaces à Annecy ce jour, il m’a dit je cite : « il y avait du nord-est pourri ». Et moi je suis malade dans le nord-est pourri, mais c’est super beau…
Je suis dans les cailloux (les plafonds ne sont pas super hauts)et dans les pâturages, c’est beau et ça avance pas trop mal. J’arrive tout au bout, je reconnais le col des Annes, la pointe percée, et son refuge.. Là, c’est super beau ! Des dalles inclinées, immenses, toutes percées de lapiaz, au couché du soleil, c’est super chouette… Je zone un peu par ici, en admirant le paysage (et en essayant de monter) puis je continue vers le Criou… mais il est loin… et c’est bien mou les thermiques maintenant.. Il commence à être tard…
Et puis surtout, j’ai plus trop la niaque… Et donc, quand la motivation n’est plus là… On ne va pas tarder à se poser… Je tente de raccrocher sur les Carroz… ça ne marche pas… Il y a au sommet des bi qui arrivent à se maintenir, je les vois qui grattent. Je cherche un terrain posable, il y a bien un truc là-bas, mais il n’a pas l’air trop bien. Mais bon il n’y a rien de mieux, je prends le moins pire.
Et j’y vois un mec qui plie au bord, c’est donc là l’atterrissage ??? Et bien leur atterrissage, c’est genre celui des biplaces de lans en Vercors mais en pire… Sous le vent, en pente dans le sens de la finale et surtout plein de thermiques qui arrivent de la vallée là où on doit approcher…J’improvise une belle PTU, bien réussie, je ne suis pas mécontent. Je dirais que l’atterrissage est deux fois plus difficile que celui d’Aurel (en plus à Aurel si t’es trop long, t’as des arbres autour, ici c’est des maisons et des téléskis…). Les biplaces arrivent. Ils sont en PTS, (certains avec une oreille), ça va qu’on est tard le soir… Je ne sais vraiment pas comment ils font en journée…
Je n’ai pas réussi à me refaire ici, je n’ai donc pas réussi à sauter sur le Criou, je n’ai donc pas été en Suisse… Je n’ai donc pas droit à la super nuit… Et donc plus qu’à plier et improviser un retour !
Toujours et encore la motivation.
Le parapente, c’est tout dans la tête !
Le même jour, Chrigel fait un énorme triangle en suisse et se pose vers 21h45. Je voyais bien qu’il y avait encore des cums sur les aravis et sur la suite du parcours vers la Suisse. Mais, à la fin du vol, je n’étais pas à l’attaque, pas dans le coup… Je n’ai jamais rejoint les cums, et je n’ai pas assuré la dernière transition, bref, je me suis retrouvé posé par manque de combativité.
C’était un beau vol plein de belles images et émotions
À refaire !!!
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Le retour :
Bus VW défoncé direct jusqu’à Annecy (des baba coool des Bauges qui rentraient chez eux après être venus jouer un spectacle pour la station).
Nuit à la belle étoile (filante) au bord du lac à Sevrier (pas froid, je suis bien équipé, matelas mousse et sac de couchage).
Stop jusqu’à Albertville.
Car depuis Albertville (SNCF : 12 places restantes dans le car, 25 billets vendus…) (Super)
À Chambéry (j’y suis donc allé finalement !!!) Arrivée de mon car à 39, train suivant à 40, les trains au départ ne sont plus affichés en gare deux minutes avant le départ (super super super).
Puis train, Grenoble, Valence, et car pour Die.
Résultats, je paye le train, je cours entre les quais et j’arrive environ deux heures plus tard que d’habitude quand je rentre en stop… (super)
Il n’y a plus de doute : vive le stop !!!
Infos :
Plafond max : 2608 m à 18h40
Temps de vol : 08h24
Distance : 194 km
Distance cumulée : 308 km
Vitesse max : 66 km/h
Vitesse moyenne : 23,1 km/h
Vario max : 7 m/s
G max : 2,2 g (en ligne droite)
Date du vol : 16/08/2018
Décollage : Lesches En Diois
Voile : Lynx BGD (super top !)
Sellette : Ozium 2 (donne un peu mal au cou quand on vole longtemps allongé, le fait de devoir forcer pour maintenir la tête droite)